Le domaine des Lauriers sous l'ère des Gradis

En 1828, M. Isaac Raphaël Mendes, apparenté aux Gradis, se rend acquéreur des terres, vignes, vergers, jardins, bois, d'un château et d'une maison, aux lieux-dits Croix Rouge, Lormont et Portail de Fer, par acte du 19 mai 1828, par devant Maître de Jeneau, notaire à Carbon Blanc. Il donne à l'ensemble le nom de domaine d'Israël qu'il lègue à son cousin éloigné Benjamin - dit le Jeune - Gradis.

Ainsi, en 1839, celui-ci hérite une maison de maître avec jardin, dépendances et autres bâtiments et surtout de terres agricoles, prairies et vignobles. La production viticole assoit rapidement la réputation de la propriété. Les vins de Lormont étaient alors très prisés, et l'appellation des Lauriers considérée comme supérieure à celle des crus de Pape Clément ou Haut Brion, selon la brochure "Le Producteur" de juin 1841.

Le fils de Benjamin, Moïse Henri Gradis, personnage incontournable de la vie bordelaise et lormontaise, n'aura eu de cesse d'embellir cette propriété comme il le précise dans son testament en 1891.
Les travaux de réaménagement du domaine débutent dès 1860. L'ancienne demeure de M. Peyronnet est démolie pour laisser place à l'éclectique château des Lauriers tel qu'il nous apparaît encore aujourd'hui.
Situé au cœur d'un vaste parc aux allées sinueuses, dessiné par le paysagiste Louis-Ferdinand Fischer (1810-1873) - concepteur entre autre du Jardin public de Bordeaux - le pavillon central, bâti en pierre de taille et ardoise, est agrandi en 1886 par deux pavillons latéraux. Ils sont l'œuvre de Michel-Louis Garros (1833-1911) qui agrémente leurs toits, en pavillon et en terrasse, de girouettes et d'épis de faîtage ornementaux.
L'aspect extérieur du château, que certains jugent massif et austère, révèle la complexité décorative du style des années 1860 à 1920. Les élévations sont ornées de pilastres, bandeaux moulurés, bossages et corniches ; les fenêtres des étages agrémentées de frontons et volutes ; les toits soulignés par des lucarnes sur la façade principale ou des balustrades côté terrasses.
L'aménagement intérieur, quant à lui, révèle toute la richesse de son propriétaire : le vaste hall d'entrée présente des colonnes sculptées du XVIIIème siècle (qui, selon certains, proviendraient de mâts de navires de l'armement Gradis), la cheminée de style Henri II est ornée d'arabesques, de palmes et d'anges, et le grand escalier arbore deux figures rostrales, témoignages de réussite dans le commerce maritime. Quelle meilleure appréciation de la beauté du lieu que cette "chronique du jour" signée Arlequin en 1892, qui brosse avec l'emphase caractéristique de l'époque, un tableau tant intérieur qu'extérieur du château des Lauriers :

Le passant, à travers une bordure de grands arbres et les grilles d'un portail, aperçoit de longues pelouses, de hauts massifs et l'aristocratique blancheur d'une villa princière. On entre par une terrasse d'où la vue s'étend magnifique sur le bas de la rivière qui, large et miroitante sous le soleil brumeuse avec des infinis de brouillard par les matinées grises d'automne, égaie de sa blanche coulée le paysage sévère et grandiose. Dans le hall qui se ferme par un escalier en bois monumental, s'ouvrent, tendus de perse et de vieilles soies, de vastes salons dans un agencement moderne comme le style du château mais d'un goût exquis et raffiné…

Les serres du château, dont nous ne retrouvons plus traces, ont également marqué les esprits. Un article du journal Le Monde, en juillet 1873, s'émerveille sur les admirables bégonias, achimènes et le très beau Dracana linaeta qu'elles protégeaient.
La seconde guerre mondiale obligera peu à peu les Gradis à se séparer du domaine. En 1943, Gaston hérite le domaine suite à la mort de son grand-père, Moïse-Henri, et de son père Raoul. Il se voit contraint de fuir la France devant la répression nazie. Pourtant, malgré l'occupation allemande, dont témoigne la construction d'un blockhaus dans le parc, il ne vendra le domaine qu'en 1948.