Histoire et typologie des pigeonniers (4/4)

Particularités girondines

Le vignoble  va connaître un renouveau et une extension en Bordelais au XIIIe siècle qui, associé à l'essor commercial du XIVe siècle, va voir se développer l'aristocratie nobiliaire et la bourgeoisie avec la construction de châteaux, manoirs, maisons fortes le long des voies fluviales.
On note que les implantations définitives sont superposées à la diffusion de la vigne au Moyen Age. Dans les archives notariales on établit l'association de la vigne et des colombiers, deux éléments privilégiés de la noblesse.

Au cours du XVIIe siècle, les requêtes adressées au Parlement de Bordeaux attestent de l'accroissement des querelles autour du droit de colombier. Lapeyrère résume la jurisprudence sur le sujet en 1706 dans les Décisions sommaires du Palais, arrêts du Parlement de Bordeaux : "Il n'est pas permis au tenancier d'avoir des fuyes, mais bien des pigeonniers séparés de la maison et élevés sur quatre piliers." Ainsi, l'on constate qu'en Bordelais comme en Agenais, Quercy, Languedoc à la fin du XVIIe, les populations bénéficient de certaines prérogatives quant à la construction de pigeonniers sur piliers et arcades non attenants à la maison. Alors qu'ailleurs il existe un droit seigneurial exclusif à avoir un pigeonnier jusqu'à l'application des décrets de 1789, en Bordelais "régulièrement il est permis à un chacun de bâtir un pigeonnier dans ses fonds sous le congé du seigneur, s'il n'a titre prohibitif." Quant aux colombiers à pied les seigneurs hauts-justiciers dénient à leur tenancier le droit d'en édifier.

Dans le Sud Ouest on retrouve deux grands types de pigeonniers. Les pigeonniers de roture et les puissants colombiers seigneuriaux.

En Gironde, la variété et la densité de ses constructions sont plus rares que dans les régions à tradition céréalière. On trouve surtout des tours cylindriques à dôme hémisphérique ou à toiture en poivrière (pierre ou tuile plate en couverture). Les boulins sont soit rectangulaires et creusés dans les murs soit des ½ sphères de terre cuite encastrées ce qui est plus élaboré.
La Gironde possède essentiellement des pigeonniers de forme cylindrique, édifiés dès le XVIe siècle. Ces tours (fuies ou fues) sont soit séparées du reste des bâtiments ou du château, offrant aux pigeons un dégagement pour leur envol, soit attenantes aux bâtiments, à l’angle d’un mur d’enceinte ou proche d’une entrée. En Entre-Deux-Mers par exemple, la hauteur de la tour, hormis la toiture est dans la plupart des cas égale au diamètre de sa base : 5 à 7 m.

Le fût de la tour est généralement en moellons de belle pierre, surmonté d’un dôme hémisphérique du même matériau ou en pierres de taille. À la coupole de pierres se substitue fréquemment une toiture en poivrière, couverte de tuiles plates. Un lanternon peut coiffer le dôme. La fuie est percée de lucarnes ouvertures, rondes ou carrées, ménagées dans le mur ou la toiture, à l’abri du vent dominant d’ouest. Ces issues calibrées à la taille des pigeons, empêchent buses et autres prédateurs (rongeurs) de pénétrer dans le colombier, pour y dévorer les jeunes pigeons. Une porte généralement située à l’est, de hauteur variable, permet de rentrer à l’intérieur de la construction. L’élévation de la fuie est agrémentée d’une ou deux corniches saillantes placées à des hauteurs variables et dont le dessous est creusé. Dénommés larmiers, ces bandeaux en surplomb servaient de plages de repos pour les pigeons tout en empêchant l’intrusion et l’attaque des rongeurs.

Il existe des pigeonniers carrés très anciens datés du XIVe siècle, comme celui de la métairie de Crampet à Mazères et celui de Castets-en-Dorthe aujourd’hui en ruine. Ces deux pigeonniers ont la particularité d’être carrés extérieurement et circulaires à l’intérieur. L’agencement intérieur d’un pigeonnier montre que les constructeurs y ont apporté un soin tout particulier. Dans le cas d’une fuie occupée de haut en bas par les pigeons, on relève souvent l’existence d’un larmier intérieur identique aux corniches externes, une deuxième précaution n’étant pas superflue.

C’est cependant au niveau des nichoirs, appelés boulins, que l’on observe une intéressante diversité. On trouve des boulins en argile, nids de poterie noyés dans l’enduit du mur, disposés en quinconce, abritant ainsi jusqu’à 3000 pigeons (un nid par couple). Les parois de certains pigeonniers pouvaient être également couvertes de cases en pierre, parfois séparées à intervalles réguliers par une tablette en saillie. Les pigeons pouvaient également nicher dans des corbeilles en osier ou châtaignier. Ces paniers étaient accrochés aux parois par des crochets de fer que soutenaient des chevilles en bois. L’accès aux boulins s’effectuait par une échelle appuyée contre les parois ou pivotant autour d’un axe central, pour atteindre chaque nichoir et surveiller ainsi les couvées.

Répartition en Gironde

Le département de la Gironde possède de nombreux pigeonniers remarquables répertoriés en trois territoires principaux.

L’Entre-Deux–Mers est la contrée la plus riche pour ce type de monuments. On relève les fuies de :

Châteaux de Camarsac, Dardenac et Pressac,  commune de Dardenac

Château de Lugaignac commune de Lugaignac

Château de Montlau commune de Moulon

Châteaux de Bellefontaine et de Luchey commune de Baron

Château de Crain commune de Nérigean

Maison forte du Bédat commune de Saint-Aubin-de-Branne

Châteaux de Monfaucon et Bisqueytan commune de Saint-Quentin-de-Baron

Châteaux de Jonqueyres et Gazaux commune de Saint-Germain-du-Puch

Le Langonnais, le Réolais et le Bazadais dénombrent aussi de nombreux édifices :

Pigeonnier du Salin, château des Jaubertes, commune de Saint-Pardon-de-Conques, daté de 1590,

Château Filhot à Sauternes (dont les dispositions intérieures sont conservées),

Château de Saint-Félix-de-Foncaude,

Château Lagrange à Fontet,

Domaine de la Fuye à Saint-Vivien-de-Monségur

Château de Roquetaillade commune de Mazères

Château de Cazeneuve commune de Préchac

Le Médoc conserve quelques pigeonniers intéressants comme le célèbre pigeonnier du château Latour aujourd’hui transformé, celui du château de Lescombes à Eysines, celui du château Bardis à Saint-Seurin-de-Cadourne.
On retrouve aussi sur le territoire de nombreux pigeonniers paysans ayant souvent une double fonction. Ils peuvent servir en parallèle de parc à cochon, de remise… En Gironde, la majorité des maisons paysannes du XIXe – XXe siècles possèdent leur propre petit pigeonnier.

On ne construit plus de colombier depuis un siècle et demi. Les pigeonniers aujourd’hui ont perdu leur utilité première. L’un des seuls édifice important qui abrite encore quelques couples de pigeons est celui de la maison du Bédat à Saint-Aubin-de-Branne. Certains propriétaires, de plus en plus nombreux et avisés, ont compris que leur colombier, totalement en symbiose avec son environnement, faisait partie intégrante de l’esthétique de la maison rurale traditionnelle ou de la résidence secondaire. Des sociétés savantes et quelques érudits ont entrepris le recensement des pigeonniers afin de mieux les repérer sur le territoire, les ont étudié, cartographié… Des concours et expositions photographiques de pigeonniers, organisé dans certains cantons et communes ont trouvé un écho profond parmi la population. Ces manifestations ont permis une prise de conscience que ce patrimoine historique et artistique nécessitait une sauvegarde urgente. Certains pigeonniers ont fait l’objet d’heureuses restaurations entreprises à la fois par des particuliers (fuie de Bisqueytan), des municipalités (pigeonnier du château Lescombes à Eysines) et des collectivités (pigeonnier de Sigalens par le Conseil Général de la Gironde).

 

Pigeonniers de Gironde